23 décembre 2008

Piano

Puisque dans chaque histoire se cache une histoire d'amour ;
Puisque dans chaque histoire, Eros ou le Joufflu dirigent les événements...
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Piano - And Then Love Came par *xlizx


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La bataille avait été rude, beaucoup trop rude pour un énième affrontement avec ces impies de rebelles anarchistes. Non pas que l’équipage trouvât que le gouvernement en place valait la peine d’être défendu, mais il suffisait de voir la rente que celui-ci octroyait aux chasseurs de prime intermittents pour vouloir se lancer dans les « purges » officielles ordonnées par le jeune Empereur.
Néanmoins, cette dernière offensive avait bien failli coûter la vie du Capitaine Eloa ; faute de quoi elle lui avait coûté son bâtiment. La moitié de ses hommes avaient péri sous les armes enragées des pillards, tandis qu’elle fuyait avec le reste, lambeaux déchirés de sa réputation, de l’escouade. Dégradée plus moralement que physiquement, elle avait imploré l’aide du Baladin, dirigé par l’extravagant Capitaine Sylla. Cette prière avait achevé la jeune femme ; elle qui ne supportait pas l’échec, devoir quémander, supplier le Baladin de les accueillir engendrait l’humiliation suprême.
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Le Capitaine Sylla était connu pour son excentricité et sa témérité. On disait de lui qu’il jubilait à l’idée d’accompagner les rebelles vers la Mort sur une ritournelle jouée au piano. Alors que tous y voyaient un penchant morbide, lui y distinguait de la poésie. Gaïa Eloa comprenait surtout qu’elle pénétrait dans le repaire d’un fou furieux misogyne impitoyable, et singulièrement imprévisible. Mais ce qui la contrariait par-dessus tout, c’est que Cornélus Sylla et elle étaient en compétition depuis le début du coup d’Etat qui engendra l’émergence de l’Empire. Après une partie de cartes fortement arrosée et une violente querelle d’ivrognes, ils avaient parié sur leur grandeur respective et future, sur leur magnificence militaire et populaire à venir, sur leur majesté incontestable.
Essuyer un pareil échec était déjà méprisable, mais qu’il en soit témoin, pire encore, qu’il devienne sauveur, était carrément intolérable !
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« Le Cap’taine est occupé, mam’zelle ! Si tu veux le voir, tu attendras l’heure du dîner. »
Interloquée par autant de familiarité, Gaïa toisa durement le matelot qui gardait la porte de la cabine. Mais avant qu’elle ait pu remettre en place ce jeune importun, Brac’k, son second et fidèle ami, le menaçait déjà en le plaquant contre le mur. « Vermine. Es-tu idiot ou tout simplement débile ? Manquer aussi ouvertement de respect à un supérieur hiérarchique peut être puni de supplices intenses… Tu devrais le savoir, étant donné que ton capitaine…
- Je crains qu’en ayant perdu ton bâtiment, tu aies aussi perdu ton titre… Gaïa ! »
Bien qu’il était deux fois moins épais que le second, il ne fut nullement impressionné par les intimidations du guerrier ; il avait prononcé ces mots avec une délectation évidente, un sourire narquois étirant ses lèvres. Acceptant la remarque, le Capitaine Eloa se contenta de fixer le matelot du Baladin, avant de pénétrer dans la cabine, sanctuaire feutré et harmonieux, de Cornélus, duquel s’échappaient de violents accords, mélodies barbares mais envoutantes, du mythique piano qui avait damné tant d’âmes…
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La pièce était petite, mais merveilleusement décorée. De trophées, de cartes, de tentures, d’armes, de bouteilles plus ou moins vides. Il tournait le dos à la porte. Mais cela ne l’avait guère empêché de savoir qui avait osé entrer dans son domaine.
« Capitaine Amour ! Quel bon vent t’amène ? »
Elle sourit, et s’adossa nonchalamment contre le mur, encore étonnée par son incroyable capacité à ne jamais se faire surprendre. Il ne se retourna pas, ni ne s’arrêta de jouer.
« Je suis venue recevoir tes remarques désobligeantes. Afin de t’éviter de te donner en spectacle ce soir ; bien que je sache pertinemment que le théâtre fait partie de tes prérogatives… »
Cette fois, il se retourna, amusé. « Tu n’en as pas eu assez ? Mon équipage ne vous a-t-il pas noyé sous les railleries ?
- Ils ne t’arrivent pas à la cheville… »
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Un bruit sourd cogna contre la paroi. Cornélus Sylla eut un instant de doute surpris.
« Ce doit être Brac’k. Il doit être en train d’enseigner à ton mousse comment s’adresser à un supérieur. »
Cornélus opina du chef, l’air rassuré. Décidément, il était vraiment insensible.
« Il t’aime beaucoup, ce Brac’k, je me trompe ?
- Tu sais qu’il pourrait le tuer…
- Qui ne tuerait pas pour toi, ô Calypso ? »
Sur quoi il se leva, et glissa tel un serpent vers la jeune femme. Il l’enlaça de son bras gauche tandis que le droit l’entraina doucement mais fermement vers l’instrument tant redouté. « Ce n’est pas de railleries dont tu as besoin, c’est d’une attention masculine. La guerre a durci tes traits et fortifié tes ambitions. Tu n’en restes pas moins irrésistible, Gaïa. »
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Elle se retrouva coincé entre le piano et le capitaine le plus séduisant et le plus désiré du monde des mercenaires. Certes, nier qu’elle n’avait jamais désiré ce moment serait un mensonge. Mais c’était il y a longtemps, quand ils venaient de commencer dans le métier, quand ils se cherchaient encore… Désormais, elle le connaissait trop bien pour prendre cette invitation comme une marque d’appétit personnel. Quand il s’approcha pour l’embrasser, elle lui plaqua une main sur la bouche. « Tu convoites toujours ce qui n’est pas à ta hauteur, mon biquet. Ma défaite ne m’abaissera pas à cela.
- Je t’ai connu plus désinvolte, amour. Tu devrais savoir qu’on ne me résiste pas. » Cornélus Sylla se fit alors plus violent, maintenant la jeune femme plus rudement afin de lui soumettre comme il se doit ses hommages. Ce n’était rien de plus qu’un jeu. Une nouvelle lutte. Un énième affrontement entre deux éternels enfants ne pouvant se permettre de perdre un pari stupide. L’excitation du duel les gagna rapidement. Dans leurs regards, provocants, inlassablement braqués sur l’autre ; dans leurs souffles saccadés ; dans leur poigne féroce, l’on ne pouvait discerner leurs intentions, sans cesse tiraillés entre l’attirance et la répulsion. Bien que l’amusement de ces retrouvailles se lisait dans leurs yeux, il n’en restait pas moins une part d’ombre et d'insoumission.
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Finalement, Gaïa repoussa farouchement son adversaire jusqu’à le plaquer contre le mur. Là, elle entama une danse ondulante, lascive et provocante où Cornélus perdit pied… et méfiance. Elle profita de ce petit moment d’égarement pour lui pointer une dague sous le menton. Sa main libre, qui se promenait divinement mais dangereusement du côté de sa virilité était une menace que le Capitaine Sylla craignait plus que la dague.
Elle s’approcha de son oreille, et dans un souffle, elle lui susurra quelques mots. « Aucun homme ne décidera plus quoi faire de ma personne… Et si pour te le faire comprendre je dois te résister, ou même te dominer, je le ferais… »
Cela, il le savait bien ! Ce n’était pas le moment de mettre sa parole en doute.
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Elle s’éloigna alors, le regard toujours planté dans celui de son éternel ennemi. Étrange mélange entre invitation et menace. Il la laissa s’en aller, comprenant que ce qu’il aimait chez le Capitaine Eloa, c’était son insubordination. Il la contempla, mutine et orgueilleuse, et se rendit compte que son désir pour elle n’avait jamais atteint cette intensité, depuis qu‘elle avait gagné cette assurance arrogante.
Il s’amusa un instant de sa passion, et se fixa un nouveau but. Non pas la posséder, mais la combler.
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Lorsqu’elle ouvrit la porte, Cornélus distingua le passage éclair de son mousse, suivit de peu par le colosse Brac’k. Un bruit sourd plus tard, le jeune moussaillon du Baladin suppliait, en pleurs, qu’on lui pardonne ses affronts. Gaïa afficha un large sourire, avant de se précipiter hors du champs de vision du Capitaine Sylla.
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Oui, la combler…
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1 commentaire:

VaLenTiNe a dit…

j'ai entendu dire que tu écrivais, je vais donc lire tout ça!